Manipulation et Désinformation 3/3 : Carte Blanche à Dominique Blanc :: Jeudi 5 mai à 20h30

L’utilisation de l’image par les media en terme de « buzz », de partialisation de l’information, voire de parti pris ou bien sûr de manipulation et propagande a beaucoup été débattue. Il existe en miroir une désinformation, où des évènements majeurs ne sont que peu ou pas traités, appelée  l’ignorance volontaire  par Orson Welles et développée par Noam Chomsky et autres analystes. Enfin, on peut être abreuvé, saturé d’informations ou de pseudo-informations qui n’éclairent pas vraiment sur le sujet ou ne permettent pas aux citoyens de s’en emparer pour en faire quelque chose, ou réagir à temps. Qu’en est-il au cinéma ?

 

Jeudi 5 mai à 20h30
Videodrome 2, 49 Cours Julien, 13006 Marseille
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Le cinéma  ne répond pas « dans l’urgence » aux évènements. La fiction éclaire souvent la sociologie d’un sujet. Et le documentaire ? Est-il « historique » ? Est-il révélateur ? Remet-il ensemble les pièces d’un puzzle ? Peut-il agir comme un catalyseur qui stimule les réactions du public ? Reste-t-il de la docu-fiction, soumis aux aléas des réalisateurs ? La part de l’observateur perturbe-t-elle systématiquement l’évènement historique ?

Régulièrement, l’équipe de Videodrome 2 invite une personne intéressée par la programmation à venir présenter une proposition de films. La carte blanche a été cette fois investie par Dominique Blanc qui, par un corpus de films choisis aux traitements radicalement différents, souhaite poser ces questions :

Evènement historique longtemps occulté, la bataille d’Okinawa en 1945, précurseur des tragédies d’Iroshima et de Nagasaki, explorée par Chris Marker dans un saisissant « docu fiction »sur l’oubli et le souvenir, sur la médiation et la représentation de la guerre : Level 5.
Un film policier à la française, de facture très classique, sur les barbouzes qui ont assassiné l’opposant marocain Ben Barka en 1966 par Serge le Péron : mais Ben Barka n’était-il que le leader de l’opposition marocaine ou son immense portée de révolutionnaire international a-t-elle été occultée ?
Enfin un « pur » documentaire récent de Laura Poitras sorti en 2015, Citizenfour dans lequel une totale clarté par Edward Snowden sur les méthodes de surveillance généralisée de la NSA est révélée au public ; mais qu’en a-t-on fait ? La surveillance est-elle mieux contrôlée, continue-t-elle, prend-t-elle d’autres formes ? D’un autre côté, la scénarisation de Snowden, à son corps défendant, ne recrée-t-elle pas l’émotion utilisée sans cesse par les autres media pour manipuler le spectateur ? Est-on encore dans le documentaire ?

A débattre ensemble pour alimenter conscience, réflexion et…. Action ?

Citizenfour
Laura Poitras – 2014, États-Unis/Allemagne, 1h54, VOstFR
Lanceurs d’alerte… Le clan des suricates et l’histoire d’Edward Snowden relatée dans  Citizenfour, un film documentaire de Laura Poitras, journaliste, réalisatrice.

Quelle différence entre un suricate sentinelle et un lanceur d’alerte humain ? Les suricates font confiance à leurs lanceurs d’alerte, et savent qu’ils leur doivent leur survie… Les humains  lanceurs d’alerte vont être aux prises avec de multiples menaces, chantages, représailles, licenciement, dénigrement, expulsion, emprisonnement etc… S’il existe depuis toujours une frange de la population qui refuse le secret, la manipulation et le détournement d’informations, la palette de la rétorsion et de leur bâillonnement ne cesse de s’étoffer, du personnel au professionnel, du pénal aux lois protégeant le « secret défense ou sécurité », aliénant les droits des citoyens, le secret bancaire, celui des affaires et leurs merveilleux paradis fiscaux… cet aspect là des choses, du déni à l’assassinat, est déjà présent dans les films précédents : mais qu’en est-il quand on dit tout et que tout est révélé ? Le Guardian a exposé à ses périls les révélations d’Edward Snowden sur la monstrueuse machine à dévier les informations privées des citoyens par la NSA*, assaut sans cesse répété contre les droits à la vie privée ; l’espionnage à l’échelle mondiale, citoyens et dirigeants, la collusion avec les grands groupes d’internet, FB, Google, Apple, microsoft, et  autres… buzz dans les media (surtout autour de la mise sous écoute d’Angela Merkel), mise en péril de Snowden, ses révélations lui ont coûté à peu près tout même si elles ont parcouru la planète entière, alors que le gouvernement britannique a saboté les banques de données du « Guardian », le journal britannique initiateur des révélations via ses journalistes **; et Laura Poitras en a fait un film fort bien reçu par le public…. Pour autant, sécurité (post 11 septembre 2001) contre liberté fut entérinée au congrès américain ; un simulacre de « réformes » via un comité fermé, une fausse loi de transparence, et après la tourmente l’espionnage repart…  Et nous, qu’en avons nous fait ? Les utilisations des géants d’internet n’ont guère de souci à se faire…  Enfin dans ce « on sait tout » grâce à ce docu de Laura Poitras cette objectivité auto-proclamée dérange : elle-même a été dérangée par Snowden, qui ne correspondait pas à sa représentation***, elle l’a poussé à la mise en scène, à se dévoiler lui-même alors qu’il ne cessait de répéter je ne veux pas occulter le contenu de ce que je révèle par mon histoire personnelle.  Oui l’observateur interfère bien avec le fait observé, mais en avons-nous seulement conscience ? A confronter avec d’autres visions »****
Dominique Blanc

*National Security Agency « no such agency »
** Ewen MacAskill et Glenn Greenwald, journalistes au « Guardian » ; Laura poitras, réalisatrice de documentaires
*** le dossier Snowden, de Luke Harding (ed Belin)2015
**** A venir un film d’Oliver Stone, « Snowden »


” I’m not the story here.” Ce sont presque les premiers mots d’Edward Snowden face à la caméra. Il y a de l’agacement dans sa voix. Il ne s’attendait pas à une question sur son passé. Il ne s’attendait à aucune question personnelle. Le risque d’être là, dans 
cette chambre d’hôtel, face à ces deux journalistes, est déjà colossal. Il s’apprête à leur dévoiler en détail l’effarant complexe de surveillance des individus à l’œuvre dans l’Amérique post-11 Septembre.

Les huit jours passés par Snowden dans cette chambre d’hôtel en juin 2013, qui le virent en un souffle basculer de l’anonymat à l’hypermédiatisation, forment la colonne centrale de Citizenfour. Huit jours au cours desquels les reporters Glenn Greenwald et Laura Poitras rapporteront, selon un agenda soigneusement conçu, ses révélations dans les grands journaux anglo-saxons (The Guardian et le Washington Post). Dès les premières publications, au compte-gouttes, l’attention médiatique s’accroît vitesse grand V. Au bout de trois jours, elle est à son comble.

L’ex-employé de la NSA abat ses cartes : 
il accepte une interview à visage découvert. Les jeux sont faits : Edward Snowden est l’homme le plus recherché de la planète. 
Il fuit en Russie ; Greenwald et Poitras (eux-mêmes menacés, quoique à un degré évidemment bien moindre) volent alors 
de capitale en capitale jouer les Cassandre, l’un en salle de rédaction, l’autre en conférence, émissaires d’un scoop 
qui se propage comme un séisme.

Citizenfour n’est pas un docu cyberactiviste classique mesurant l’impact de l’affaire Snowden en entremêlant paroles d’experts et packaging Matrix (défilement de code, sound design menaçant et bruyants tapotages de clavier). Tout le contraire : avec une forme d’une frappante sobriété, le film de Laura Poitras met à distance le détail des faits – pour ça, il y a la presse –, se pose à hauteur des gens.

Les vingt premières minutes relatent la correspondance cryptée de Snowden et Poitras en amont de l’interview. Magnifique idée que de faire ainsi “naître” Snowden ex nihilo, comme un signal radio extraterrestre. Préparatifs et questionnements sur la fiabilité de 
la source sont ponctués par les messages réguliers de cette voix venue du vide, qui semble encore irréelle mais appelle 
de ses vœux une rencontre.

Le film est bel et bien celui d’une rencontre, car il faut voir Edward Snowden. Il faut voir ce jeune homme réservé attendre tranquillement des heures durant, assis dans sa chambre d’hôtel, tandis qu’un monde laissé hors champ pivote autour 
de lui. Il faut voir le calme olympien avec lequel il s’applique à décrire l’inimaginable, ne cédant jamais ni à la peur, ni surtout 
à la gloriole – “I’m not the story here”, dit-il.

Sur ce point, Snowden se trompe d’ailleurs. Pour l’essentiel, il ne s’agit effectivement pas encore de lui. Mais à l’écran rien ne nous fascine tant que ce héros discret, lucide, toujours inquiet mais jamais fébrile, et qui mesure chaque geste, chaque parole avec un mélange de détermination et de précaution qui marque les semaines, 
les mois, peut-être les années passées à préparer mentalement ce moment. Au-delà de sa simple “utilité” de whistleblower, 
son analyse politique des systèmes qu’il dénonce est passionnante et implacable.

Enfin, ce qui nous accroche si puissamment à Citizenfour, outre la précieuse valeur de l’enregistrement, c’est sans doute l’inspiration très sereine qui s’insuffle dans la narration de Laura Poitras. Grâce à un montage à peu près parfait, épuré à l’extrême – voir la séquence élémentaire (un seul plan) de Snowden réfugié à Moscou –, la réalisatrice, oscarisée le 22 février, fait de son film 
le fantôme documentaire d’un film de Michael Mann (Révélations, évidemment) : sens aigu du personnage, agencement sophistiqué des destins, sensation de surveillance judicieusement distillée. Quelque chose de limpide et de très intense parcourt les moments captés par le film : une alchimie simple, éthérée, qui transcende le réel. Citizenfour est le film qu’Edward Snowden méritait. »
Théo Ribeton pour LesInrocks

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